Par un arrêt du 9 mai 2025 (CE, n° 499096), le Conseil d'État censure une doctrine administrative qui limitait la portée du dispositif exceptionnel de report en arrière des déficits, ou carry-back, mis en place dans le cadre de la crise sanitaire. La Haute Juridiction administrative juge que les entreprises peuvent imputer leur déficit non seulement sur le bénéfice déclaré, mais aussi sur le bénéfice tel que rectifié par l'administration à la suite d'un contrôle. Cette décision aligne le régime exceptionnel sur les règles de droit commun du report en arrière et offre une plus grande flexibilité aux entreprises.

Contexte du litige : une doctrine administrative contestée

Pour soutenir la trésorerie des entreprises affectées par la pandémie de Covid-19, l'article 1er de la loi de finances rectificative pour 2021 a instauré un dispositif exceptionnel de report en arrière des déficits. Il permettait, par dérogation au régime de l'article 220 quinquies du Code général des impôts (CGI), d'imputer le premier déficit constaté entre le 30 juin 2020 et le 30 juin 2021 sur les bénéfices des trois exercices précédents (au lieu d'un seul).

Cependant, l'administration fiscale, dans ses commentaires publiés au BOFiP (BOI-IS-DEF-20-30, § 120), a précisé que les bénéfices d'imputation devaient s'entendre des seuls "bénéfices déclarés", à l'exclusion des rehaussements résultant d'un contrôle fiscal.

C'est cette interprétation que les sociétés du groupe Yves Rocher ont contestée, demandant l'abrogation de cette doctrine pour excès de pouvoir. Face au silence de l'administration, valant rejet implicite, elles ont saisi le Conseil d'État.

L'analyse du Conseil d'État : le renvoi au droit commun

Le Conseil d'État donne raison aux sociétés requérantes en se fondant sur une lecture combinée des textes et de l'intention du législateur.

Le bénéfice d'imputation inclut les rectifications

La Haute Juridiction rappelle d'abord la règle applicable dans le cadre du dispositif de droit commun de l'article 220 quinquies du CGI. Une entreprise peut, par voie de réclamation contentieuse, demander le report en arrière d'un déficit sur le résultat de l'exercice précédent, y compris lorsque ce résultat a été rectifié par l'administration.

Le Conseil d'État analyse ensuite le texte du dispositif exceptionnel. La loi du 19 juillet 2021 précise que les bénéfices d'imputation sont déterminés "dans les conditions prévues à l'article 220 quinquies du code général des impôts". Il en déduit que, hormis les dérogations expresses prévues par la loi (nombre d'exercices d'imputation et plafonnement), le législateur a entendu soumettre le régime exceptionnel aux mêmes modalités de calcul que le régime de droit commun.

Par conséquent, rien ne justifiait d'écarter la prise en compte des rectifications fiscales pour le calcul du bénéfice d'imputation.

Censure de la doctrine pour incompétence

En limitant l'imputation aux seuls bénéfices déclarés, la doctrine administrative a ajouté à la loi une condition qu'elle ne contenait pas. Elle a ainsi restreint "incompétemment la portée de la disposition législative qu'il a pour objet de commenter". Le Conseil d'État annule donc la décision de refus d'abroger ce paragraphe de la doctrine.

Implications pratiques de la décision

Cet arrêt sécurise et optimise la gestion du report en arrière des déficits pour les entreprises ayant utilisé le dispositif exceptionnel "Covid".

  • Optimisation de la créance de carry-back : Les entreprises qui ont fait l'objet d'un rehaussement de leur bénéfice sur l'un des trois exercices d'imputation (2017, 2018 ou 2019 pour un déficit en 2020) peuvent désormais imputer leur déficit sur cette base élargie. Cela permet de générer une créance de report en arrière plus importante et d'améliorer leur trésorerie.
  • Possibilité de réclamation : Les entreprises qui s'étaient auto-limitées en appliquant la doctrine administrative peuvent désormais déposer une réclamation contentieuse pour demander un recalcul de leur créance, dans le respect des délais de prescription.
  • Confirmation d'un principe : La décision confirme que, sauf disposition contraire expresse, les régimes dérogatoires de report en arrière doivent être lus à la lumière des principes du régime de droit commun. Toute restriction apportée par la doctrine administrative qui n'est pas fondée sur la loi est illégale.

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