Une décision récente du Conseil d'État (CE, 9 mai 2025, n° 496088) apporte une clarification majeure sur les limites de l'imposition des revenus de source étrangère en vertu de l'article 120 du Code général des impôts (CGI).

L'arrêt établit une distinction fondamentale entre la qualité de "maître de l'affaire" (ou ayant-droit économique) d'une entité étrangère et le statut juridique d'actionnaire. Cette nuance est déterminante pour établir l'assujettissement à l'impôt sur les distributions.

Le contexte du litige

L'affaire concernait M. B, un contribuable détenant une participation directe dans une société française, Hibiscus, et un intérêt indirect via une société luxembourgeoise, Luxhi. En décembre 2007, les actions d'Hibiscus ont été cédées à un tiers. La société Luxhi a perçu plus de 3,2 millions d'euros issus de cette vente. Par la suite, l'administration fiscale a constaté que M. B avait reçu une somme d'environ 3,28 millions d'euros de la part de Luxhi.

L'administration fiscale française a considéré M. B comme le "seul maître de l'affaire" concernant Luxhi et l'ayant-droit économique de ses fonds. En conséquence, elle a imposé la somme distribuée entre ses mains sur le fondement de l'article 120, 3° du CGI, qui régit les répartitions faites aux "associés, actionnaires et porteurs de parts" de sociétés étrangères.

La cour administrative d'appel de Paris avait initialement confirmé cette imposition. Elle estimait que, puisque M. B contrôlait effectivement Luxhi et avait perçu les fonds, il était redevable de l'impôt sur la distribution, bien que Luxhi soit juridiquement détenue par une entité panaméenne, Charmayne Overseas Corp.

L'analyse du Conseil d'État

Le Conseil d'État a annulé la décision de la cour d'appel, identifiant une erreur de droit dans son interprétation de l'article 120 du CGI.

Interprétation stricte de la qualité d'actionnaire

Le raisonnement de la Haute Juridiction repose sur une lecture stricte du code fiscal. L'article 120, 3° du CGI vise spécifiquement les répartitions faites aux "associés, actionnaires et porteurs de parts".

La Cour a relevé que, bien que l'administration fiscale ait apporté la preuve que M. B était le "maître de l'affaire" et le bénéficiaire économique des fonds, ces éléments factuels n'équivalent pas juridiquement à la qualité d'actionnaire. Puisque l'associé unique de Luxhi était la société panaméenne Charmayne Overseas Corp, M. B ne pouvait être imposé sur le fondement d'une disposition conçue spécifiquement pour les actionnaires.

Rejet de la réalité économique au profit du titre juridique

Cette décision renforce le principe selon lequel, pour l'application spécifique de l'article 120, 3° du CGI, le titre juridique prévaut sur la réalité économique. Le statut de "maître de l'affaire", concept fréquemment utilisé en droit fiscal français pour attribuer des revenus à la personne contrôlant effectivement une société, est insuffisant pour déclencher l'application de ce texte précis si l'individu ne détient pas le titre juridique d'actionnaire ou d'associé.

Implications pour les contribuables

Cet arrêt constitue une garantie essentielle pour les contribuables concernant la catégorisation des revenus étrangers. Il limite la capacité de l'administration à requalifier des distributions sur la seule base du contrôle économique lorsque des critères juridiques spécifiques (statut d'actionnaire) sont exigés par la loi.

Toutefois, il est important de noter que cela n'exonère pas nécessairement ces revenus de toute imposition. Cela empêche simplement l'application de l'article 120, 3° du CGI en l'absence de statut d'actionnaire. L'administration conserve la possibilité de poursuivre l'imposition sous d'autres catégories de revenus ou fondements juridiques, mais elle doit respecter strictement les définitions prévues par la loi.

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