Une décision rendue par le Conseil d'État le 9 mai 2025 (CE, n° 496935) vient apporter des précisions procédurales et fiscales majeures concernant le service de correction en ligne des déclarations de revenus et l'imposition des intérêts de source étrangère.

Dans un contexte de fraude internationale de type Ponzi, la Haute Juridiction rappelle l'orthodoxie des règles de procédure fiscale : une correction tardive vaut réclamation contentieuse, et la perception effective d'intérêts entraîne leur imposition, nonobstant la perte ultérieure du capital.

Le contexte : Prêts participatifs et correction tardive

L'affaire concerne un couple de contribuables fiscalement domiciliés en France. Entre 2013 et 2016, ils ont conclu des contrats de prêts participatifs avec une société espagnole, Publiolimpia SL. En 2016, ils ont perçu des intérêts s'élevant à 692 069 euros, qu'ils ont initialement déclarés dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers.

Cependant, à la suite de la révélation d'une escroquerie pyramidale affectant la société espagnole, les contribuables ont tenté de revenir sur leur déclaration. Utilisant le service de "télécorrection" disponible sur le site impots.gouv.fr, ils ont modifié leur déclaration après la date limite de dépôt, ramenant le montant des revenus déclarés à 5 012 euros. L'administration fiscale a rejeté cette modification et maintenu l'imposition sur la base initiale.

La qualification procédurale de la "correction en ligne"

Le premier apport de cet arrêt réside dans la qualification juridique de l'acte de correction en ligne effectué après l'expiration du délai légal de déclaration.

Une réclamation contentieuse, non une simple rectification

Le Conseil d'État infirme la position de la cour administrative d'appel qui avait vu dans cette démarche une nouvelle base d'imposition obligeant l'administration à engager une procédure de rectification contradictoire pour la remettre en cause.

La Haute Juridiction juge qu'une déclaration rectificative déposée après les délais, même via l'outil de correction en ligne, constitue une réclamation contentieuse au sens de l'article L. 190 du Livre des procédures fiscales (LPF). Par conséquent :

  • L'administration était fondée à établir l'impôt sur la base de la déclaration initiale sans procédure de rectification.
  • La charge de la preuve est inversée : il incombe aux contribuables, conformément à l'article R. 194-1 du LPF, de démontrer le caractère exagéré de l'imposition établie d'après leur déclaration initiale.

Le Conseil d'État précise en outre que les communiqués de presse ministériels annonçant l'ouverture du service de correction ne constituent pas une interprétation de la loi fiscale opposable à l'administration (article L. 80 A du LPF), car ils relèvent de la procédure d'imposition.

L'imposition des revenus de créances étrangères

Sur le fond, le litige portait sur l'imposition des intérêts perçus d'une société étrangère, dans un contexte où le capital prêté semblait perdu du fait de l'escroquerie.

Application stricte de l'article 124 du CGI

Le Conseil d'État rappelle les principes de l'article 124 du Code général des impôts. Les intérêts perçus par des résidents fiscaux français sont imposables du seul fait de leur paiement ou de leur inscription en compte. La circonstance que le capital prêté ne soit pas remboursé ultérieurement, ou que le débiteur soit impliqué dans une fraude, ne fait pas obstacle à l'imposition des intérêts effectivement perçus au cours de l'année considérée.

L'application de la convention franco-espagnole

Les contribuables ne pouvaient pas non plus se prévaloir de la convention fiscale entre la France et l'Espagne pour échapper à l'impôt français. En tant que résidents de France, ils sont imposables sur leur revenu mondial. Si la convention prévoit un mécanisme de crédit d'impôt pour éviter la double imposition, celui-ci est conditionné au paiement effectif de l'impôt en Espagne. Faute d'avoir démontré une telle imposition à la source en Espagne, les intérêts demeurent pleinement imposables en France.

Conclusion

Cette décision illustre la rigueur du juge de l'impôt face aux situations procédurales complexes. Elle invite les contribuables à une grande vigilance lors de l'utilisation des outils de correction en ligne : passé le délai légal, toute modification s'analyse comme une réclamation, renversant la charge de la preuve sur le déclarant. De plus, elle confirme l'autonomie de l'imposition des revenus mobiliers par rapport au sort du capital principal.

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