Dans une décision du 8 octobre 2025, le Conseil d’État se prononce sur la qualification fiscale d’une opération de cession-revente de titres réalisée le même jour. Il juge que le contribuable ayant agi comme simple prêteur ne peut être imposé sur la base d'une distribution, que ce soit au titre d'un avantage occulte (CGI, art. 111, c) ou d'un bénéfice réputé distribué (CGI, art. 109, 1-1°).
Contexte de l'affaire
L'affaire concerne un contribuable, M. D..., qui était le président directeur général (PDG) de la société Vermont. À la suite de l'échec d'un projet industriel, certains actionnaires minoritaires, dont la société Flodrine, ont décidé de céder leurs participations.
M. D... a acquis une partie des titres de la société Flodrine, non pas pour son propre compte, mais pour faciliter une opération de montée au capital d'un autre actionnaire, M. A....
Ce dernier avait accepté de prendre la direction de la branche industrielle en difficulté, mais ne disposait pas des fonds nécessaires pour financer l'intégralité de l'acquisition des titres.
Pour contourner cet obstacle, M. D... a acheté les actions à la société Flodrine avant de les revendre, le jour même et sans réaliser de plus-value, à M. A..., en lui octroyant un crédit-vendeur.
L'administration fiscale, estimant que le prix de cession initial était minoré, a considéré que M. D... avait bénéficié d'un avantage. Elle a procédé à un rehaussement en qualifiant cet avantage de revenu distribué, initialement sur le fondement de l'avantage occulte (CGI, art. 111, c).
La procédure et la qualification juridique
Le litige a connu un long parcours judiciaire. Après une première annulation par le Conseil d'État, la cour administrative d'appel de Nancy, statuant sur renvoi, a de nouveau rejeté l'appel des contribuables.
La cour administrative d'appel a accepté la demande de l'administration de substituer le fondement juridique de l'imposition, passant de l'article 111, c du CGI à l'article 109, 1-1° du même code. Elle a jugé que la cession à prix minoré constituait un acte anormal de gestion et que l'avantage devait être imposé entre les mains de M. D... comme une distribution.
Cependant, le Conseil d'État, saisi d'un second pourvoi, censure cette analyse. La Haute Juridiction administrative estime que la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit en ne recherchant pas si M. D..., compte tenu de son rôle, avait réellement appréhendé la somme correspondant à l'avantage.
Statuant définitivement sur l'affaire, le Conseil d'État procède à une requalification des faits. Il considère que l'opération ne doit pas être vue comme deux cessions distinctes, mais comme une cession unique des titres de Flodrine à M. A..., rendue possible par un prêt consenti par M. D....
La décision du Conseil d'État
La qualification de M. D... en tant que simple prêteur est au cœur de la décision et emporte des conséquences déterminantes sur les deux fondements juridiques envisagés.
Sur le fondement de l'avantage occulte (art. 111, c du CGI)
Le Conseil d'État rappelle que la qualification d'avantage occulte suppose la réunion de deux conditions cumulatives :
- Un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale du bien.
- Une intention libérale, c'est-à-dire l'intention pour la société d'octroyer une libéralité et pour le cocontractant de la recevoir.
En l'espèce, le rôle de simple prêteur de M. D... fait obstacle à la reconnaissance d'une telle intention. Il n'a agi que comme un intermédiaire financier pour permettre la réalisation de l'opération au bénéfice de M. A....
Par conséquent, l'administration ne pouvait pas établir que la société Flodrine avait eu l'intention d'octroyer une libéralité à M. D..., ni que ce dernier avait eu l'intention d'en recevoir une. L'imposition sur ce fondement est donc écartée.
Sur le fondement des revenus distribués (art. 109, 1-1° du CGI)
L'administration fiscale avait demandé, à titre subsidiaire, l'application de l'article 109, 1-1° du CGI.
Cet article considère comme des revenus distribués tous les bénéfices qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital. Lorsqu'un acte anormal de gestion, comme une cession à prix minoré, fait apparaître un bénéfice, l'avantage est imposable entre les mains du cessionnaire qui en a effectivement disposé.
Le Conseil d'État applique le même raisonnement que précédemment. La qualité de prêteur de M. D... implique qu'il n'a pas personnellement appréhendé l'avantage correspondant à la minoration du prix. Il n'a fait que transiter les fonds et les titres dans le cadre d'un montage financier global.
Ne pouvant être regardé comme ayant disposé de la somme en cause, il ne peut être imposé sur ce fondement.
Le Conseil d'État annule donc l'arrêt de la cour administrative d'appel ainsi que le jugement du tribunal administratif. Il prononce la décharge totale des impositions supplémentaires mises à la charge des époux D....