Une récente décision du Conseil d'État vient apporter des éclaircissements importants sur deux sujets majeurs en droit fiscal : le principe d'impartialité des magistrats et l'application du délai spécial de reprise de l'administration.
En jugeant qu'un magistrat ayant présidé une commission départementale peut ultérieurement statuer sur un litige connexe impliquant l'associé, la haute juridiction définit une application stricte des règles d'impartialité.
Elle valide également une lecture extensive du délai de reprise de dix ans, l'autorisant dès la phase d'enquête judiciaire.
Le principe d'impartialité appliqué aux procédures fiscales
Le principe d'impartialité est une garantie fondamentale pour tout justiciable. En matière fiscale, il est encadré par des dispositions spécifiques, notamment l'article R*200-1 du livre des procédures fiscales (LPF), qui vise à prévenir les conflits d'intérêts.
Le contexte de l'affaire
Dans cette affaire, un contribuable, M. B..., a fait l'objet d'un redressement fiscal au titre de revenus distribués, qualifiés de rémunérations et avantages occultes. Ces sommes provenaient de commissions en espèces versées par des fournisseurs à la société dont il était le dirigeant et principal actionnaire.
Le litige portait notamment sur la régularité de la procédure devant le tribunal administratif. Le requérant soutenait que le principe d'impartialité avait été méconnu.
En effet, le magistrat qui a officié comme rapporteur lors du jugement de son affaire personnelle avait précédemment présidé la commission départementale des impôts (CDI) qui avait rendu un avis sur un désaccord fiscal concernant sa société, Roussillon Salaisons.
La décision du Conseil d'État
Le Conseil d'État a rejeté l'argument du contribuable. Il a jugé que ni les dispositions du LPF ni le principe général d'impartialité ne faisaient obstacle à une telle situation. La haute juridiction a fondé sa décision sur une distinction claire entre les deux procédures.
Le magistrat avait présidé une commission statuant sur l'impôt sur les sociétés dû par la société Roussillon Salaisons. Par la suite, il a participé au jugement du litige concernant l'impôt sur le revenu et les contributions sociales dues par M. B..., l'associé.
Le Conseil d'État a donc considéré que les deux affaires n'étaient pas les mêmes, car elles concernaient :
- Des redevables distincts : la société d'un côté, l'associé de l'autre.
- Des impositions différentes : l'impôt sur les sociétés pour la première, l'impôt sur le revenu pour la seconde.
Cette solution établit une interprétation stricte de l'incompatibilité : pour qu'elle soit reconnue, le magistrat doit avoir statué sur une imposition dont il a précédemment apprécié la base en tant que président de la CDI.
La simple connexité entre les dossiers ne suffit pas à caractériser une violation du principe d'impartialité.
L'extension du délai de reprise fiscale
Le second point majeur de la décision concerne le délai de reprise de l'administration fiscale, qui lui permet de corriger les omissions ou insuffisances d'imposition.
L'évolution du cadre légal
Le droit de reprise de l'administration s'exerce normalement jusqu'à la fin de la troisième année suivant celle au titre de laquelle l'imposition est due. Cependant, l'article L. 188 C du LPF prévoit un délai spécial étendu à dix ans lorsque des agissements frauduleux sont révélés par une procédure judiciaire.
La rédaction de cet article a évolué. Avant 2015, il fallait la révélation par une "instance" devant les tribunaux. La loi de finances rectificative pour 2015 a élargi ce champ à la révélation par une "procédure judiciaire".
Le législateur a ainsi entendu couvrir les cas où les faits sont découverts avant même l'engagement de poursuites formelles, par exemple lors d'une enquête préliminaire.
L'application par le Conseil d'État
Dans le cas d'espèce, les agissements de M. B... ont été révélés à l'administration fiscale en février 2016 par un bulletin de signalement de la gendarmerie, qui menait une enquête de flagrance. Le contribuable soutenait que pour les impositions des années 2012 et 2013, l'administration ne pouvait se prévaloir du délai de reprise étendu, car les faits n'avaient pas été révélés par une "instance" pénale.
Le Conseil d'État a écarté cet argument. Il a jugé que la cour administrative d'appel n'avait pas commis d'erreur de droit en considérant que la révélation des faits par une enquête de flagrance, donc une "procédure judiciaire", était suffisante pour déclencher l'application du délai de reprise de dix ans prévu par la nouvelle version de l'article L. 188 C du LPF.
Cette décision confirme que l'ouverture d'une enquête est un fait générateur suffisant pour étendre le délai de reprise, sans qu'il soit nécessaire d'attendre l'engagement de poursuites.
Conclusion
Cette décision du Conseil d'État du 26 septembre 2025 (N° 492877) apporte une double clarification en matière de procédure fiscale.
D'une part, elle adopte une approche pragmatique du principe d'impartialité, en le limitant aux cas où le magistrat intervient sur une même imposition et un même redevable.
D'autre part, elle consolide l'efficacité de l'action de l'administration fiscale dans la lutte contre la fraude en validant une application large du délai spécial de reprise, déclenché dès le stade de l'enquête judiciaire.