Vous êtes sur le point de créer votre entreprise et le choix de la structure juridique vous semble être un véritable casse-tête ? Ou peut-être êtes-vous déjà associé au sein d'une société et souhaitez mieux comprendre les subtilités de votre imposition ? 

Dans les deux cas, vous avez probablement entendu parler des "sociétés de personnes" et de leur régime fiscal si particulier. Ces structures, régies principalement par l'article 8 du Code Général des Impôts (CGI), représentent une part importante du tissu économique français.

Contrairement aux sociétés de capitaux (comme la SA ou la SAS) qui sont soumises à l'impôt sur les sociétés (IS), les sociétés de personnes bénéficient d'un régime dit de "transparence fiscale" ou de "translucidité". Qu'est-ce que cela signifie concrètement ? Qui est réellement imposé ? Quels sont les avantages et les inconvénients de ce système ?

Ce guide complet vous propose de décrypter en détail le fonctionnement du régime fiscal des sociétés de personnes. Nous aborderons les structures concernées, les mécanismes d'imposition des bénéfices et des déficits, les obligations déclaratives, et les stratégies d'optimisation possibles.

Qu'est-ce qu'une société de personnes ?

Avant de plonger dans les méandres de la fiscalité, il est essentiel de bien définir ce qu'est une société de personnes. En droit français, cette catégorie regroupe des sociétés où l'engagement personnel des associés (l'intuitu personae) est prédominant. La confiance et les relations entre les associés sont au cœur du pacte social.

Cette caractéristique a une conséquence majeure : la responsabilité des associés. Dans la plupart de ces structures, les associés sont responsables des dettes de la société de manière indéfinie et solidaire sur leur patrimoine personnel. C'est un point crucial à considérer avant de choisir cette forme juridique.

Les principales formes de sociétés de personnes

L'article 8 du CGI vise un large éventail de sociétés qui, par défaut, relèvent de ce régime fiscal. Voici les plus courantes :

  • La Société en Nom Collectif (SNC) : C'est l'archétype de la société de personnes. Tous les associés ont la qualité de commerçant et sont responsables indéfiniment et solidairement des dettes sociales.
  • La Société Civile (SC) : Très utilisée, notamment pour la gestion de patrimoine immobilier (SCI) ou l'exercice d'une profession libérale (SCP), elle relève de ce régime sauf si elle exerce une activité commerciale ou opte pour l'IS.
  • La Société en Commandite Simple (SCS) : Elle présente une structure hybride avec deux types d'associés : les commandités (responsabilité indéfinie et solidaire) et les commanditaires (responsabilité limitée à leurs apports). Seule la part des bénéfices revenant aux commandités suit le régime des sociétés de personnes.
  • L'Entreprise Unipersonnelle à Responsabilité Limitée (EURL) : Lorsque l'associé unique est une personne physique, l'EURL est par défaut soumise au régime des sociétés de personnes. L'associé est alors imposé directement à l'impôt sur le revenu (IR).
  • La Société en Participation (SEP) : C'est une société "cachée", sans personnalité morale, dont l'existence n'est pas révélée aux tiers. Ses bénéfices sont imposés entre les mains des associés.
  • Les sociétés créées de fait : Il s'agit de situations où des personnes se comportent comme des associés sans avoir formalisé leur union par un contrat de société. Fiscalement, elles sont traitées comme des sociétés en participation.

D'autres structures, comme les Groupements d'Intérêt Économique (GIE) ou certaines SARL de famille, peuvent également relever de ce régime, soit par nature, soit sur option.

Le principe fondamental : la transparence fiscale

Le cœur du régime de l'article 8 du CGI est le principe de "transparence" ou "translucidité" fiscale. Cela signifie que la société elle-même n'est pas redevable de l'impôt sur les bénéfices. Elle n'a pas de "personnalité fiscale" distincte de celle de ses associés.

Alors, qui paie l'impôt ? Ce sont les associés, directement.

Le bénéfice est calculé au niveau de la société, selon les règles de la catégorie de revenus correspondant à son activité (Bénéfices Industriels et Commerciaux - BIC, Bénéfices Non Commerciaux - BNC, ou Bénéfices Agricoles - BA).

Une fois ce résultat déterminé, il est réparti entre les associés, proportionnellement à leurs droits dans la société, tels que définis dans les statuts.

Chaque associé intègre alors sa quote-part de bénéfice dans sa propre déclaration de revenus, dans la catégorie correspondant à l'activité de la société (BIC, BNC, etc.). L'imposition se fait ensuite au barème progressif de l'impôt sur le revenu, après application éventuelle d'abattements et prise en compte des autres revenus du foyer fiscal.

L'imposition des bénéfices : une acquisition immédiate

Un point essentiel à comprendre est que les associés sont imposés sur leur part des bénéfices, que ceux-ci aient été distribués ou non. La quote-part du résultat social est considérée comme acquise par l'associé à la date de clôture de l'exercice de la société.

Cela peut parfois créer des difficultés de trésorerie pour l'associé. Il doit payer l'impôt sur un revenu qu'il n'a peut-être pas encore touché si la société a décidé de mettre les bénéfices en réserve pour financer des investissements, par exemple. Une bonne communication et une politique de distribution claire entre associés sont donc primordiales.

Exemple pratique 1 : L'imposition dans une SCI

Prenons le cas d'une Société Civile Immobilière (SCI) détenue par deux frères, Paul et Jacques, à 50/50. La SCI loue un appartement non meublé.

Détermination du résultat de la SCI :

  • Loyers encaissés dans l'année : 12 000 €
  • Charges déductibles (intérêts d'emprunt, taxe foncière, travaux) : 4 000 €
  • Résultat foncier de la SCI : 12 000 € - 4 000 € = 8 000 €

Répartition du résultat entre les associés :

  • Quote-part de Paul (50 %) : 4 000 €
  • Quote-part de Jacques (50 %) : 4 000 €

Imposition des associés :

  • Paul devra ajouter 4 000 € à ses autres revenus dans la catégorie "Revenus Fonciers" de sa déclaration de revenus personnelle.
  • Jacques fera de même.

Même si la SCI décide de conserver les 8 000 € sur son compte bancaire pour de futurs travaux, Paul et Jacques seront quand même imposés sur 4 000 € chacun.

Le cas des associés personnes morales

Que se passe-t-il si l'un des associés est une autre société, soumise à l'impôt sur les sociétés (IS) ? Le principe reste le même. La société associée intègre sa quote-part de résultat (bénéfice ou déficit) dans son propre résultat fiscal, qui sera ensuite soumis au taux normal de l'IS.

Cette situation a une conséquence importante, prévue par l'article 238 bis K du CGI. Lorsque une société de personnes a parmi ses associés une ou plusieurs entreprises soumises à l'IS, elle doit déterminer son résultat selon les règles de l'IS.

Le résultat est donc calculé comme si la société de personnes était elle-même à l'IS, puis réparti entre tous les associés (personnes physiques et morales).

  • Les associés personnes morales l'intègrent à leur résultat IS.
  • Les associés personnes physiques l'intègrent à leur revenu imposable à l'IR, mais sur la base d'un calcul fait selon les règles de l'IS (ce qui peut changer certains calculs de plus-values ou d'amortissements, par exemple).

La gestion des déficits : un avantage non négligeable

L'un des principaux attraits du régime des sociétés de personnes réside dans le traitement des déficits. Si la société est déficitaire, le mécanisme de transparence s'applique de la même manière.

Chaque associé se voit attribuer une quote-part du déficit, qu'il peut ensuite imputer sur ses autres revenus. Cela permet de réduire la base imposable globale de l'associé et, par conséquent, son impôt sur le revenu.

Les règles d'imputation varient selon la nature de l'activité :

  • Déficit commercial (BIC) : Si l'associé exerce une activité professionnelle au sein de la société (par exemple, il est le gérant d'une SNC), il peut imputer sa part de déficit sur son revenu global, sans limitation. S'il n'y exerce pas d'activité professionnelle, le déficit n'est imputable que sur des bénéfices de même nature (BIC non professionnels) des 6 années suivantes.
  • Déficit non commercial (BNC) : Mêmes règles que pour le BIC.
  • Déficit foncier : La part du déficit provenant des charges financières (intérêts d'emprunt) est imputable uniquement sur les revenus fonciers des 10 années suivantes. La part provenant des autres charges est imputable sur le revenu global, dans la limite de 10 700 € par an. L'excédent est reportable sur les revenus fonciers des 10 années suivantes.

Cette possibilité d'imputer les déficits est particulièrement intéressante dans les premières années d'une activité, qui sont souvent synonymes d'investissements lourds et de pertes. Elle l'est aussi dans le cadre d'investissements immobiliers locatifs où les intérêts d'emprunt et les travaux peuvent générer un déficit foncier.

L'option pour l'impôt sur les sociétés (IS)

Le régime de l'article 8 du CGI est le régime par défaut, mais il n'est pas une fatalité. La plupart des sociétés de personnes peuvent choisir d'être soumises à l'impôt sur les sociétés.

Cette option est irrévocable (sauf renonciation notifiée à l'administration avant la fin du mois qui précède la date limite du paiement du premier acompte du cinquième exercice suivant celui au titre duquel l'option a été exercée).

Pourquoi opter pour l'IS ?

L'option pour l'IS change radicalement la donne fiscale. La société devient alors elle-même redevable de l'impôt. Les associés ne sont plus imposés sur les bénéfices réalisés, mais uniquement sur les rémunérations qu'ils perçoivent (s'ils sont dirigeants) et sur les dividendes qui leur sont distribués.

Cette option peut être stratégique dans plusieurs situations :

  • Taux d'imposition élevé des associés : Si les associés sont dans les tranches marginales d'imposition les plus élevées (41 % ou 45 %), le taux de l'IS (taux réduit de 15 % jusqu'à 42 500 € de bénéfice, puis taux normal de 25 %) peut être plus avantageux.
  • Besoin de réinvestissement : Si la société a besoin de conserver ses bénéfices pour financer sa croissance, l'IS est plus adapté. Les bénéfices laissés dans l'entreprise ne sont taxés "qu'une fois" à l'IS. À l'IR, ils sont taxés entre les mains des associés même s'ils ne sont pas distribués.
  • Contrôle de la fiscalité personnelle : L'IS permet aux associés de piloter leur imposition personnelle en décidant du montant des dividendes à distribuer chaque année.

Les conséquences du passage à l'IS

Le changement de régime fiscal est assimilé à une cessation d'activité. Il entraîne l'imposition immédiate des bénéfices en cours, des plus-values latentes sur les actifs de la société, et des bénéfices dont l'imposition avait été différée. C'est une décision lourde de conséquences qui doit être mûrement réfléchie et, idéalement, accompagnée par un expert-comptable ou un avocat fiscaliste.

Obligations déclaratives : qui déclare quoi ?

Bien que la société de personnes ne paie pas d'impôt, elle a des obligations déclaratives spécifiques.

  • Déclaration de résultat de la société : Elle doit souscrire chaque année une déclaration de résultat (formulaire n°2072 pour les SCI, n°2031 pour les BIC, n°2035 pour les BNC). Ce document détaille le calcul du résultat fiscal et sa répartition entre les associés.
  • Déclaration de revenus des associés : Chaque associé doit ensuite reporter sa quote-part de résultat (bénéfice ou déficit) sur sa propre déclaration de revenus (formulaire n°2042 et ses annexes, comme la 2044 pour les revenus fonciers ou la 2042-C-PRO pour les revenus professionnels).

Le non-respect de ces obligations peut entraîner des sanctions pour la société et pour les associés. L'administration fiscale peut, par exemple, refuser l'imputation d'un déficit si la société n'a pas déposé sa déclaration de résultat.

Exemple pratique 2 : Gérer un déficit dans une SNC

Claire et Léo ont créé une SNC pour lancer une activité de conseil en marketing. Ils détiennent chacun 50 % des parts et sont tous deux co-gérants, exerçant leur activité professionnelle à plein temps dans la société.

La première année, l'activité démarre doucement et les charges sont importantes.

Résultat de la SNC :

  • Chiffre d'affaires : 40 000 €
  • Charges d'exploitation (loyer, salaires, fournitures) : 70 000 €
  • Résultat fiscal (déficit BIC) : -30 000 €

Répartition du déficit :

  • Quote-part de Claire (50 %) : -15 000 €
  • Quote-part de Léo (50 %) : -15 000 €

Imposition des associés :

  • Claire est également salariée à temps partiel dans une autre entreprise, avec un revenu net imposable de 20 000 €.
  • Son revenu global imposable sera de : 20 000 € (salaires) - 15 000 € (déficit BIC professionnel) = 5 000 €. Grâce à l'imputation du déficit, son impôt sur le revenu sera très faible, voire nul.
  • Léo n'a pas d'autres revenus. Son revenu global est donc de -15 000 €. Ce déficit global sera reportable sur ses revenus globaux des 6 années suivantes.

Cet exemple illustre parfaitement comment le régime des sociétés de personnes peut accompagner financièrement des créateurs d'entreprise en allégeant leur fiscalité personnelle durant la phase de lancement.

Les plus-values de cession de parts sociales

Un autre aspect complexe concerne la fiscalité applicable lorsqu'un associé cède ses parts. Le régime d'imposition de la plus-value dépend si l'associé est un particulier ou une entreprise, et s'il exerce une activité professionnelle au sein de la société.

Pour un associé personne physique exerçant son activité professionnelle dans la société (cas fréquent en SNC ou EURL), les parts sociales sont considérées comme un actif professionnel. La plus-value de cession relève donc du régime des plus-values professionnelles, conformément à l'article 151 nonies du CGI.

Le calcul est complexe, car il faut appliquer la jurisprudence "Quemener" qui ajuste le prix d'acquisition des parts pour éviter une double imposition (on majore le prix d'acquisition des bénéfices déjà taxés mais non distribués, et on le minore des déficits imputés).

Pour un associé qui ne travaille pas dans la société (associé d'une SCI par exemple), la plus-value relève du régime des plus-values des particuliers sur valeurs mobilières ou immobilières, selon la nature de la société.

Conclusion : un régime flexible mais complexe

Le régime fiscal des sociétés de personnes, encadré par l'article 8 du CGI, offre une grande flexibilité et des avantages indéniables, notamment en matière de gestion des déficits. La transparence fiscale permet une imposition directe des associés, qui peut être très avantageuse pour des activités en phase de démarrage ou pour des investissements générant des charges importantes.

Cependant, cette "simplicité" apparente cache une réelle complexité. L'imposition des bénéfices non distribués, les interactions avec la fiscalité personnelle des associés, les règles spécifiques en présence d'associés à l'IS et les modalités de calcul des plus-values de cession sont autant de points de vigilance.

Le choix entre le régime de l'article 8 et l'option pour l'IS est l'une des décisions stratégiques les plus importantes pour les dirigeants de ces sociétés. Il n'y a pas de réponse universelle : la meilleure solution dépend de la nature de l'activité, des perspectives de rentabilité, de la situation fiscale personnelle des associés et de la stratégie de développement de l'entreprise.

Face à ces enjeux, il est fortement recommandé de se faire accompagner par un professionnel de la fiscalité. Un expert saura modéliser les différentes options et vous guider vers le régime le plus adapté à votre projet, vous assurant ainsi sérénité et optimisation.

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