Vous êtes un particulier résidant en France avec des revenus à l'étranger ? Ou peut-être une entreprise française qui étend ses activités au-delà de nos frontières ? Si c'est le cas, vous avez probablement déjà entendu parler du risque de double imposition.
Ce concept, qui peut sembler intimidant, désigne la situation où un même revenu est imposé dans deux pays différents. Heureusement, des solutions existent pour éviter de payer l'impôt deux fois. Au cœur de ces solutions se trouvent les conventions fiscales internationales.
Ces traités bilatéraux, signés entre la France et de nombreux autres États, sont des outils essentiels pour clarifier les règles du jeu fiscal à l'international.
Elles déterminent quel pays a le droit d'imposer quel revenu et comment éliminer la double imposition lorsqu'elle se présente. Comprendre leur fonctionnement est crucial pour sécuriser vos finances et optimiser votre situation fiscale.
Cet article vous guidera à travers les méandres des conventions fiscales, en explorant leurs principes fondamentaux, les mécanismes qu'elles mettent en place, et leur application concrète à travers des exemples clairs.
Qu'est-ce qu'une convention fiscale internationale ?
Une convention fiscale internationale est un traité conclu entre deux États souverains. Son objectif principal est double : éviter la double imposition des revenus et des patrimoines de leurs résidents respectifs et lutter contre l'évasion et la fraude fiscales.
Sans ces accords, les lois fiscales nationales de chaque pays s'appliqueraient de manière indépendante, menant souvent à des situations où un contribuable serait taxé sur le même revenu par son pays de résidence et par le pays d'où provient ce revenu.
Les objectifs fondamentaux des conventions fiscales
Au-delà de la simple prévention de la double imposition, les conventions fiscales poursuivent plusieurs buts stratégiques :
- Sécurité juridique : Elles offrent aux contribuables (particuliers et entreprises) des règles claires et prévisibles, ce qui est indispensable pour les investissements et les échanges commerciaux internationaux.
- Non-discrimination : Elles garantissent qu'un résident d'un État ne sera pas soumis dans l'autre État à une imposition plus lourde que celle appliquée aux résidents de cet autre État se trouvant dans la même situation.
- Coopération administrative : Elles établissent un cadre pour l'échange d'informations entre les administrations fiscales des pays signataires, un outil puissant pour lutter contre la fraude et l'optimisation fiscale agressive.
- Résolution des litiges : Elles prévoient des procédures amiables pour résoudre les différends qui peuvent survenir lors de leur application.
Le lien avec le droit interne français
Il est important de comprendre qu'une convention fiscale ne crée pas d'impôt. Elle se contente de répartir le droit d'imposer entre les deux États signataires, un droit qui est initialement défini par leur législation interne. En France, le Code Général des Impôts (CGI) pose les bases de la territorialité de l'impôt.
Par exemple, l'article 4B du CGI définit le concept de domicile fiscal en France. Selon cet article, une personne est considérée comme résidente fiscale française si elle remplit l'un des critères suivants :
- son foyer ou son lieu de séjour principal est en France,
- elle y exerce son activité professionnelle principale,
- ou elle y a le centre de ses intérêts économiques.
Un résident fiscal français est en principe imposable sur l'ensemble de ses revenus mondiaux. C'est ici que la convention fiscale intervient : elle peut limiter le droit de la France d'imposer un revenu de source étrangère si ce droit est attribué à l'autre pays. La convention prime donc sur la loi interne.
De même, pour les entreprises, la législation française prévoit l'imposition des bénéfices réalisés dans des entreprises exploitées en France.
Lorsqu'une entreprise française perçoit des revenus de l'étranger, ou qu'une entreprise étrangère en perçoit de France, la convention fiscale détermine les modalités d'imposition pour éviter une double charge fiscale.
Les mécanismes pour éliminer la double imposition
Pour atteindre leur objectif principal, les conventions fiscales, largement inspirées du modèle de l'OCDE, utilisent principalement deux méthodes. Le choix de la méthode dépend de la nature du revenu et des termes spécifiques de la convention signée entre les deux pays.
1. La méthode de l'exonération (Exemption Method)
Le principe de la méthode de l'exonération est simple : le pays de résidence du contribuable (par exemple, la France) accepte de ne pas imposer un revenu qui a déjà été imposé (ou qui est imposable) dans le pays de la source de ce revenu. Cette méthode se décline en deux variantes.
- L'exonération totale : Le revenu de source étrangère est purement et simplement ignoré pour le calcul de l'impôt dans le pays de résidence. Cette méthode est de moins en moins utilisée car elle peut créer un avantage fiscal injustifié.
- L'exonération avec progressivité (ou méthode du taux effectif) : C'est la méthode la plus courante appliquée par la France. Le revenu de source étrangère, bien qu'exonéré, est tout de même pris en compte pour calculer le taux d'imposition qui sera appliqué aux autres revenus du contribuable imposables en France. Cela permet de maintenir l'équité du barème progressif de l'impôt sur le revenu.
Comment ça marche ?
- Le contribuable déclare l'ensemble de ses revenus mondiaux en France, y compris ceux exonérés.
- L'administration fiscale calcule l'impôt théorique sur la totalité de ces revenus mondiaux.
- Elle détermine ensuite le taux moyen d'imposition qui en découle.
- Ce taux moyen est finalement appliqué uniquement aux revenus imposables en France.
Cette méthode garantit que le contribuable est imposé sur ses revenus français à un taux qui reflète sa capacité contributive globale, sans pour autant imposer une seconde fois les revenus étrangers.
2. La méthode du crédit d'impôt (Tax Credit Method)
Avec la méthode du crédit d'impôt, le pays de résidence impose également les revenus de source étrangère, mais il autorise le contribuable à déduire de son impôt national l'impôt qu'il a déjà payé à l'étranger sur ces mêmes revenus.
- Le crédit d'impôt intégral : Le montant total de l'impôt payé à l'étranger est déductible. Cette méthode est rare.
- Le crédit d'impôt ordinaire (ou avec butoir) : C'est la méthode privilégiée par la plupart des conventions. La déduction de l'impôt payé à l'étranger est plafonnée. Le crédit d'impôt ne peut pas dépasser le montant de l'impôt que le pays de résidence aurait lui-même perçu sur ce revenu étranger.
Comment ça marche ?
- Le contribuable déclare ses revenus de source étrangère en France.
- Ces revenus sont inclus dans sa base imposable en France.
- L'impôt français correspondant à ces revenus est calculé.
- Le montant de l'impôt payé à l'étranger sur ces revenus est imputé sur l'impôt français, dans la limite de l'impôt français calculé à l'étape 3.
Cette méthode garantit que le revenu n'est pas taxé à un taux cumulé supérieur au taux le plus élevé des deux pays. Si l'impôt étranger est supérieur à l'impôt français correspondant, la différence n'est généralement pas remboursable.
Les types de revenus couverts par les conventions fiscales
Les conventions fiscales ne s'appliquent pas de manière uniforme. Elles contiennent des articles spécifiques pour chaque catégorie de revenus, définissant des règles de partage du droit d'imposer.
Bénéfices des entreprises
La règle générale est que les bénéfices d'une entreprise ne sont imposables que dans son pays de résidence. Toutefois, si cette entreprise exerce une activité dans un autre État par l'intermédiaire d'un "établissement stable" (une notion clé définie par les conventions, comme un bureau, une usine, ou une succursale), les bénéfices attribuables à cet établissement stable peuvent être imposés dans cet autre État.
Dividendes
Les dividendes sont généralement imposables dans le pays de résidence du bénéficiaire. Cependant, le pays de la source des dividendes (celui où la société distributrice est résidente) conserve souvent un droit d'imposition limité, sous la forme d'une retenue à la source. Les conventions fiscales viennent plafonner le taux de cette retenue.
En droit interne français, l'article 119 bis, 2 du CGI prévoit une retenue à la source sur les dividendes de source française versés à des non-résidents. Depuis le 1er janvier 2024, le taux de cette retenue est de 25%.
Une convention fiscale peut réduire ce taux (par exemple à 15%, 5% ou même 0%) selon la situation du bénéficiaire.
Intérêts et redevances
Le traitement des intérêts (revenus de créances) et des redevances (rémunérations pour l'usage de brevets, marques, droits d'auteur, etc.) est similaire à celui des dividendes.
Le droit d'imposer principal revient au pays de résidence du bénéficiaire, mais le pays de la source peut appliquer une retenue à la source à un taux plafonné par la convention.
De nombreuses conventions récentes tendent à supprimer totalement la retenue à la source pour les intérêts et les redevances entre entreprises associées.
Gains en capital
L'imposition des gains réalisés lors de la vente d'un bien (immobilier, actions, etc.) dépend de la nature du bien :
- Biens immobiliers : Les gains sont presque toujours imposables dans le pays où le bien est situé.
- Actions : Les gains sont généralement imposables dans le pays de résidence du vendeur. Il existe des exceptions, notamment pour la vente de participations substantielles dans des sociétés immobilières.
Revenus d'emploi (salaires)
La règle de base est que les salaires sont imposables dans le pays où l'activité professionnelle est physiquement exercée. Cependant, une exception majeure, connue sous le nom de "règle des 183 jours", existe pour les missions de courte durée. Un salaire reste imposable uniquement dans le pays de résidence de l'employé si les trois conditions suivantes sont cumulativement remplies :
- Le séjour dans l'autre État ne dépasse pas 183 jours sur une période de 12 mois.
- La rémunération est payée par un employeur qui n'est pas résident de l'État d'exercice de l'activité.
- La charge de la rémunération n'est pas supportée par un établissement stable que l'employeur a dans l'État d'exercice.
Exemples pratiques pour mieux comprendre
La théorie est une chose, mais la pratique est souvent plus parlante. Voyons deux scénarios courants.
Exemple 1 : Le salarié détaché à l'étranger
Sophie est résidente fiscale française. Son employeur, une société française, l'envoie en mission en Allemagne pour une durée de 5 mois, du 1er février au 30 juin 2025. Son salaire continue d'être versé par son employeur français.
Analyse de la situation :
- Sophie reste résidente fiscale française (son foyer reste en France).
- L'activité est exercée en Allemagne.
- La France et l'Allemagne ont signé une convention fiscale.
Application de la convention (modèle OCDE) :
- Le séjour de Sophie en Allemagne (5 mois) est inférieur à 183 jours.
- Son employeur n'est pas une société allemande.
- L'employeur français n'a pas d'établissement stable en Allemagne qui supporterait la charge de son salaire.
Conclusion : Les trois conditions de l'exception sont remplies. Le droit d'imposer le salaire de Sophie revient exclusivement à la France. L'Allemagne ne pourra pas taxer ce revenu. Sophie déclarera simplement son salaire en France comme d'habitude, sans risque de double imposition.
Exemple 2: L'entreprise française recevant des dividendes étrangers
La société "TechInnov", basée à Lyon, détient 50% des parts de sa filiale "US-Data", située aux États-Unis. En 2025, US-Data verse un dividende de 100 000 $ à TechInnov.
Analyse de la situation :
- TechInnov est résidente fiscale de France.
- Le dividende provient d'une source américaine.
- La France et les États-Unis ont une convention fiscale.
Application de la convention franco-américaine :
- En droit interne américain, une retenue à la source de 30% pourrait s'appliquer.
- La convention prévoit que si le bénéficiaire est une société détenant au moins 10% de la société distributrice, le taux de la retenue à la source est plafonné à 5%.
- C'est le cas de TechInnov. Les États-Unis prélèveront donc une retenue à la source de 5 000 $ (5% de 100 000 $).
Élimination de la double imposition en France :
- TechInnov doit déclarer le dividende brut (100 000 $) dans son résultat imposable en France.
- La convention franco-américaine prévoit l'élimination de la double imposition via la méthode du crédit d'impôt.
- TechInnov pourra imputer l'impôt payé aux États-Unis (5 000 $) sur son impôt sur les sociétés dû en France, dans la limite de l'impôt français correspondant à ce dividende.
Grâce à la convention, la charge fiscale globale est maîtrisée et la double imposition est évitée.
Conclusion
Naviguer dans le paysage fiscal international peut sembler complexe, mais les conventions fiscales sont des alliées précieuses. Elles créent un environnement stable et prévisible pour les particuliers et les entreprises qui opèrent au-delà des frontières.
En définissant clairement les droits d'imposition de chaque État et en fournissant des mécanismes efficaces comme l'exonération et le crédit d'impôt, elles transforment le risque de double imposition en un défi gérable.
Que vous soyez un expatrié, un travailleur frontalier, un investisseur international ou une entreprise en pleine expansion, une compréhension de base de ces traités est indispensable. Il est toujours recommandé de se référer au texte de la convention spécifique applicable à votre situation et, en cas de doute, de consulter un professionnel de la fiscalité internationale.
Une planification proactive est la clé pour transformer les complexités fiscales en opportunités et assurer la conformité de vos activités mondiales.